vendredi 30 décembre 2011

Chômage et temps de travail


Bruegel l'ancien les 7 péchés capitaux : la gourmandise (1557)


Le gouvernement dit réfléchir « aux moyens d’adapter la durée du travail à la conjoncture pour éviter les licenciements », autrement dit à favoriser une réduction du temps de travail plutôt que de mettre au chômage une partie des salariés, tandis que ceux qui restent continuent à travailler comme des dingues en faisant, si nécessaire, des heures supplémentaires.
Dès lors, on est en droit de se demander pourquoi l’idée de partage du travail par la réduction du temps de travail ne vient à l’esprit de la droite que lorsque le chômage empire rapidement.
Tout comme on peut s’étonner qu’une partie de la gauche n’assume pas mieux les 35 heures et ne fasse pas de la réduction du temps de travail et du partage du travail un axe de son projet de société.

Dans la rubrique « Rebonds » de Libération, un de ses journalistes, Grégoire Bisseau s’énerve que la gauche ne relève plus ou presque les attaques aussi récurrentes que de mauvaise foi de Sarkozy contre les 35 heures, dont il rend largement responsable l’état de la France et des finances publiques.

 
[..] Outre le fait que la mesure reste très populaire, on ne voit pas ce qui peut expliquer ce silence coupable de la gauche. Certes, cette politique a coûté cher en allégement de charges. Bien sûr, elle a été plus favorable aux cadres qu’aux ouvriers. Evidemment, elle a aggravé un peu plus le fossé entre grands groupes et PME. Et provoqué une splendide pagaille dans les hôpitaux. Mais de là à laisser pérorer Sarkozy… «Il ne faut pas exagérer, on ne peut pas dire que les 35 heures dans le privé soient aujourd’hui un vrai problème pour l’économie française. Puisque la réduction du temps de travail a été presque partout compensée par des accords de modération salariale.» Qui nous confessait cet aveu, il y a quelques semaines à peine ? Un dirigeant socialiste ? Un syndicaliste ? Un économiste de gauche ? Non, un des plus proches collaborateurs du chef de l’Etat. [...]




Sam Taylor-Wood Sleep 2002 






      Sonic Youth Youth against facism (1992)

      samedi 17 décembre 2011

      Marine le Pen, l’héritière

      documentaire de Caroline Fourest et Fiammetta Venner

      Affiche électorale du parti National socialiste de 1932 
      (Du travail et du pain avec la liste national socialiste)


       


      A propos d’Eva Joly
      Je trouve profondément indécent que quelqu’un qui est devenu Français à 20 ans [...], qui a la double nationalité, puisse poser sa candidature. 
      Marine Le Pen - 30 janvier 2011


      Si, comme moi,  vous avez manqué le documentaire sur le père diffusé sur France 3, Le diable de la République, vous avez une semaine pour voir celui qui concerne la fille : « Marine Le Pen, l’histoire d’une héritière » de Caroline Fourest et Fiammetta Venner.

      Le portrait qu’il en est tracé est d’autant plus glaçant que la fille Le Pen est crédité de près de 20 % d’intentions de vote au premier tour de l’élection présidentielle, et que dans le contexte actuel, avec son virage« national-socialiste » l’accession du F.N. au pouvoir n’apparaît pas du tout comme improbable. 


      Alors, "malheureux", "en colère" ou inquiets, tous les électeurs tentés par le vote FN ou l'abstention (qui fera mécaniquement monter l'extrême droite), devraient avoir vu ce documentaire diffusé ce jeudi à 23H10 sur France 2 (bravo le service public !), rattrapage sur Pluzz !



      Le billet de Sophia Aram sur France Inter : "Gros cons ?"



      Le retour du national-socialisme par Christian Chavagneux

      Le programme économique passéiste et irréaliste du FN   Le Figaro du 8/4/11

       

       Les fils de l'homme (children of men) d'Alfonso Cuaron  Bande-annonce VOST

      lundi 28 novembre 2011

      L’écologie politique est-elle soluble dans la campagne présidentielle ?


      Tous au Larzac de Christian Rouaud





      Yves Frémion, écrivain, journaliste, critique de BD et député européen vert, qui a publié en 2007 une «Histoire de la révolution écologiste», distingue défense de l'environnement et écologie politique dans une entrevue accordée au journal Libération :

      L'écologie politique, c'est une globalité, une pensée qui articule une révolution de la société autour d'un certain nombre d'axes : la protection de l'environnement et la sauvegarde de la nature ; la solidarité sociale ; la citoyenneté et la démocratie ; dans une perspective qui suppose des rapports Nord-Sud différents. Un combat pour l'environnement est toujours un combat social et citoyen, et inversement.
      Les «environnementalistes» sont des écologistes inachevés, il leur manque une dimension. Nicolas Hulot est un environnementaliste. Il est sincère, mais il s'est fourvoyé ; il a planté les Verts à l'élection présidentielle. Il a laissé croire que des problèmes planétaires n'étaient pas politiques et pouvaient être réglés avec cinq mesures prises par n'importe quel candidat. Cela dit, il a fait avancer la prise de conscience environnementale. (...)

      Le 21 novembre, FR3 a diffusé un excellent documentaire qui retrace la genèse de l’écologie politique en France.

      « La saga des écolos » d’Alice Le Roy et de Valérie Manns  montre bien comment un mouvement spontané, animé par des contestataires profondément hostiles à la politique et méfiants à l'égard des partis, s’est enraciné dans le paysage politique français pour devenir une force politique incontournable, au point de se voir offrir un poste au sein de gouvernements socialistes (Brice Lalonde puis Dominique Voynet).


      Mitch Epstein centrale à charbon - Ohio 2003

      « Si les préoccupations environnementales font désormais partie de notre quotidien, écrit Vincent Arquillère de Télérama, les écologistes français passaient il y a encore quarante ans pour de gentils illuminés opposés au merveilleux progrès. Comme le montrent les archives de ce documentaire, ils étaient juste en avance sur leur temps  (...)

      D'échecs en rebonds, les Verts (au sens large) ont fini par passer à l'âge adulte... même s'ils ressemblent encore parfois à un adolescent turbulent. »



      Pourtant, bien qu’une conscience « environnementaliste » émerge dans l’opinion, ses implications politiques peinent à entrer dans les têtes. Et ce n’est probablement pas avec l’élection présidentielle que les Verts obtiendront un score à la hauteur de l’enjeu écologique, surtout après le traumatisme d’avril 2002.

      Vu que le Parti de Gauche et peut-être aussi ce vieux con orgueilleux de Chevènement qui pourtant avait su me séduire en pleine campagne anti-Maastricht (j’avais adhéré à son MDC), réduiront le score du candidat de gauche pouvant se retrouver au second tour, Cohn-Bendit avait sans doute raison d’être sceptique sur le bien-fondé d’une candidature écologiste.

      En effet, Europe Écologie-Les Verts feront sans doute un très mauvais résultat, a fortiori si se confirme dans les sondages le score de la fille Le Pen : le vote utile pour l’ex de Royal s’imposera à tous ceux pour qui l’UMP doit vite passer la main.



      EE-Les Verts et le PS viennent de conclure un accord électoral officiel, c’est bien, mais j’aurais tellement préféré qu’Eva Joly fasse partie des candidats à une primaire EE-Les Verts-PS, afin de pouvoir voter pour elle : députée européenne polyglotte, très active au Parlement européen, franco-norvégienne tellement bien intégrée en France qu’elle a occupé avec opiniâtreté un poste de juge d’instruction au pôle financier du palais de justice de Paris, lui donnant toute légitimité pour pourfendre régulièrement paradis fiscaux et omnipotence de la finance, bref, la meilleure candidate pour les temps présents.

       Les usuriers de Quentin Metsys (1465-1530) à la Galleria Doria Pamphili
       
      Une des pierres d’achoppement de cet accord fut naturellement la question du nucléaire, ce vieux combat écolo (Mon plus vieux souvenir de contestation « écolo » remonte aux manifestations contre la construction d’un Super générateur à Creys-Malville en 1977.  J’avais 15 ans).

      On peut également comprendre qu’il en fut ainsi, tant du point de vue des écologistes (rendus plus forts de la catastrophe de Fukushima - Tchernobyl, c’était « la faute au communisme »), que du point de vue du candidat PS à la présidence de la République défendant une de nos toutes dernières industries, en période de flambée du chômage.



      Sur ce, a suivi la mauvaise polémique qu’a provoqué l’entrevue d’Eva Joly par le patibulaire Apathie... 




      L’euro : le problème ?... Ou les marchés ?



      « Si tu penses que quelque chose de petit ne peut pas changer le cours de l’histoire, alors tu n’as jamais passé une nuit avec un moustique »



      Dans l’US magazine[1] de novembre, il est beaucoup question de la crise des dettes publiques de la zone euro, de l’euro et des marchés financiers.
      Notamment un débat « L’euro : le problème ? » entre Jacques Sapir directeur d’études à l’EHESS-Paris et Thomas Coutrot, coprésident d’ATTAC et membre du conseil scientifique.
      Si Jacques Sapir ne manquent pas d’arguments pour appeler à « une dissolution ordonnée et coordonnée de la zone euro, comme la meilleure solution de sortie de crise », Thomas Coutrot souligne qu’elle radicaliserait la concurrence et aggraverait « la logique non coopérative déjà dominante, en lui ouvrant un nouvel espace, celui de la guerre monétaire », « un discours du chacun pour soi qui profiterait aux forces nationalistes les plus réactionnaires, les plus autoritaires. »


      [1] Publication du SNES, principal syndicat d’enseignants



       
      Quant à Emmanuel Todd, dans une entrevue, il rappelle que « les riches adorent la dette »... Extrait :

      Les discours moralisateurs et culpabilisateurs vont atteindre leur limite. La dette publique est un instrument qui permet aux riches de s’enrichir encore plus. Les riches adorent la dette publique ! L’étape ultime du débat arrivera quand l’opinion publique comprendra que l’existence même de la dette est le résultat d’une escroquerie. Elle a été créée presque consciemment comme un mécanisme de sécurisation de l’argent des riches et des puissants - oligarques américains et européens, rentiers du pétrole et communistes chinois fraternellement mêlés - et d’exploitation des populations. Tout va changer quand les gens vont comprendre que l’impôt prélevé chaque année sur les citoyens sert à financer des gens qui ont déjà trop d’argent ou de pouvoir, les détenteurs de la dette. La dette est illégitime. [...]


      La refondation de la démocratie pourrait commencer par une répudiation de la dette ou, plus doucement, par sa monétisation, l’Etat, à nouveau démocratique, retrouvant le droit de créer de la monnaie dans l’intérêt général.





      Liêm Hoang-Ngoc, économiste et député européen PS




      samedi 12 novembre 2011

      Merci les banquiers

      Journal d’un économiste en crise par Oncle Bernard - Charliehebdo  du 9/11/11



      Martin Parr Luxury 2009




      C’est quoi « les marchés » ? Des banques, des fonds d’investissement, des assureurs : des gens qui placent de l’épargne. Des placiers. Autrefois, on pouvait placer directement son épargne : acheter du grand emprunt EDF ou SNCF. C’est fini. Giscard, puis Barre, puis les autres ont obligé les épargnants à passer par des intermédiaires, lesquels, évidemment, ont fait leur beurre au passage. Giscard a interdit  la Banque de France d’acheter les dettes du Trésor (de faire marcher la planche à billets, qui soulagerait bien le budget de l’Etat). Puis la Banque de France est devenue indépendante (Pasqua), puis soumise à la BCE (Jospin). La monnaie, bien public, a été définitivement privatisée.

      Et puis les banquiers ont fait leur travail, qui consiste à pousser les gens à s’endetter pour leur prélever des intérêts. Après avoir réussi à faire s’endetter les ménages, ils ont réussi à faire s’endetter les Etats, et on en est là.

      Un pays qui croît à 1% ne peut pas rembourser 4%, ou 5%, ou plus par an. C’est mathématique. Si votre revenu croît de 1% par an, vous ne pouvez jamais, jamais rembourser. Jamais. C’est pourquoi la Grèce ne pourra pas rembourser, mais la France non plus, ne rêvez pas. Ou alors, elle s’y ruinera. Elle y laissera la peau.
      LA SUITE ICI


      Mines d'or de Serra Pelada (1986) par Sebastiao Salgado

      vendredi 11 novembre 2011

      Les voies du socialisme latino-américain

      William I. Robinson dans le dossier du Monde Diplomatique de ce mois-ci « Peut-on changer le monde ? »

      Sameer Kermali Photoquai 2011


      Et maintenant, le Pérou ? Constituée en laboratoire du néolibéralisme à partir du milieu des années 1970, l’Amérique latine a changé de visage. Depuis une dizaine d’années, une grande partie de la région est « passée à gauche », un phénomène souvent décrit comme une vague (lire « D’élections en réélections »). Or voici que la lame emporte un nouveau bastion de la droite. Le soir de l’élection présidentielle péruvienne de juin 2011, le candidat victorieux — M. Ollanta Humala, un homme de gauche — proclamait : « Plus jamais le gouvernement ne servira les intérêts de l’élite qui vend les richesses minières du Pérou à des multinationales. Tout cela doit changer. » Rupture ? Dans le même discours, M. Humala promettait, tout aussi fermement, de ne pas toucher au modèle économique péruvien.

      Si une vague progressiste a bien déferlé sur l’Amérique latine, elle se voit communément qualifiée de « rose-rouge », tant diffèrent les courants qui la traversent. A tel point que certains des gouvernements de la région, qui avaient façonné des majorités électorales en mobilisant les classes populaires, sont désormais confrontés à une double menace : d’une part, la résurgence de la droite (dans les urnes, comme au Chili en 2010, ou par la force, comme au Honduras en 2009) ; de l’autre, des mouvements de protestation alimentés par les espoirs frustrés d’une partie de la population. Deux facteurs qui, combinés, révèlent certaines des limites internes et externes des processus politiques en Amérique latine. [...]


      Alors que, entre 1988 et 2003, 90 milliards de dollars de biens publics ont été bradés par les Etats d’Amérique latine, la « vague rose-rouge » interrompt les privatisations. Les dépenses publiques augmentent - leur montant par habitant triple au Venezuela en 1999 et 2008 - et des programmes sociaux ambitieux voient le jour ou bénéficient de plus de moyens : « plan d’urgence sociale » en Uruguay, « bourse familiale » au Brésil, « assignation universelle par enfant » en Argentine, etc. Partout, les droits des travailleurs sont mieux défendus, le salaire minimum augmente, cependant que les budgets consacrés au logement et à l’éducation gonflent ; l’analphabétisme régresse dans toute la région. Tandis que, en dépit de manifestations massives, la France imposait à la population un recul de l’âge de la retraite, la Bolivie le faisait passer de 65 à 58 ans. Autre exemple : au Brésil, la part des salaires dans la valeur ajoutée a augmenté de 3.6 % entre 1999 et 2009, pour atteindre 43.6 %. Pendant la même période, elle a régressé dans la plupart des autres pays de la planète. Les progrés sont donc incontestables.



      De telles politiques expliquent sans doute la popularité dont continuent à jouir dans leur ensemble les gouvernements issus de la gauche latino-américaine. Mais avant même d’être fragilisées par la crise et le réveil des droites, ces politiques suffisaient-elles vraiment à répondre aux attentes des classes populaires ?

       Photo : Marcos Lopez

      Les gouvernements progressistes ont certes redirigé vers les populations les plus défavorisées une partie des revenus générés par les exportations de matières premières. [...]

      Il n’en reste pas moins que, en dépit de certains discours, les bouleversements significatifs du système inégalitaire de redistribution des richesses s’avèrent d’autant plus rares que les réformes fiscales sont timides. [...]

      Comme d’autres pays classés à gauche, le Brésil n’a pas véritablement opéré de transformation structurelle susceptible d’éradiquer les causes de la pauvreté et des inégalités : l’amélioration des conditions de vie y demeure d’autant plus fragile qu’elle repose sur des programmes gouvernementaux qui pourraient être suspendus - voire supprimés -, à la suite d’une alternance gouvernementale ou d’un plan d’austérité « imposé par une récession économique... [...]



      Les réformes ont été plus profondes au Venezuela, où elles se sont inscrites dans un projet ambitieux de transformation de l’Etat, de remise en cause de la notion de propriété privée et de renforcement de la participation populaire au sein du système démocratique. [...]
      Ces gouvernements - dénoncés comme « radicaux » par les observateurs modérés et libéraux - ont conquis le pouvoir à la suite d’élections qui les ont placés à la tête d’Etats corrompus, clientélistes, bureaucratiques et oligarchiques. Scrutin après scrutin, une rupture semble s’être produite : la plus grande menace qui pèse sur ces pays provient moins de la droite que de l’ « intérieur » du bloc au pouvoir.

      Prébendes, népotisme, baronnies : lorsque les cadres compétents manquent, les « entrepreneurs de la révolution » prennent parfois le dessus. Eux s’avèrent moins enclins à transformer une situation qui les promeut au rang de nouvelle classe privilégiée. Et puis, à mesure que son niveau de vie progresse, une partie de la population envisage différemment l’urgence de la transformation sociale. [...]


      L'exercice de l'Etat de Pierre Schoeller




      vendredi 4 novembre 2011

      Une devise pour la gauche ?



      Comme j'interrogeai Paulo sur ce qu’il répondrait à un jeune qui lui demande ce que signifie qu’être de gauche aujourd’hui, il répondit :



      -          Peut-être peut-on partir de la devise de notre pays. Liberté - Egalité - Fraternité. « Liberté » la valeur première parmi toutes pour la droite. « Egalité », l’idée communiste. Reste alors pour la gauche de gouvernement, euh... la fraternité (éclat de rire)

      -          le "care"[1] ! ai-je rigolé à mon tour.

      -          Martiiiine ! Avons-nous tous les trois hurlé dans un même élan pour finir dans un grand éclat de rire commun. (Cet accès d’hystérie s’expliquant sans doute par le sujet de conversation précédent où nous avions partagé notre ras le bol de toujours voter sans enthousiasme « contre », la plupart du temps pour soutenir un « looser »)



      Sur ce, notre « sociologue » nous a donné quelques clés sur l’origine du « care », concept que l’on doit à des intellectuelles féministes américaines où, contre toute attente, il fut question du beau métier d’hôtesse de l'air (...)



      Trois jours plus tard, Martine avait cédé la place à Flamby et une chroniqueuse du Monde regrettait que Martine Aubry n'eût pas osé évoquer une société du "Care" durant la campagne des primaires socialistes...



      [1] Prononcer [ker]


      dimanche 16 octobre 2011

      Chômage, revenus et protection sociale : questions pour un champion (I)






      « Ce que l’on voit aujourd’hui, c’est le résultat d’un long processus. Ceux qui travaillaient dans des banques, qui avaient un commerce ou de bons postes dans le bâtiment ne se sont pas retrouvés à la rue tout de suite. Ils ont souvent bénéficié d’une aide familiale, ont vécu quelques mois chez des amis ou des proches. Mais le problème est qu’ils ne peuvent pas retrouver de travail, car il n’y en a pas. L’Amérique est confrontée à quelque chose qu’elle ne connaissait pas vraiment, le chômage de longue durée. Quand vous additionnez les saisies immobilières et le chômage, c’est la catastrophe. Alors, peu à peu, on voit tous ces gens qui viennent frapper à notre porte. »

      Le directeur d’une structure d’aide aux plus démunis en Floride

      Libération du 15 et 16 octobre 2011 Dénuement durable par Fabrice Rousselot




      Le chômage reste en tête des préoccupations de français, tout comme le pouvoir d’achat et la protection sociale (retraites et qualité des soins de santé), tandis que l’anxiété concernant « la sécurité des biens et des personnes » passe au second plan.

      Pourtant, après 30 ans de chômage de masse et de politiques d’emploi, aucun candidat à l’élection présidentielle ne se risque à faire de la lutte contre le chômage l’axe principal de sa campagne.



      La question est certes épineuse. A offres d’emplois données, le chômage dépend d’abord de la population active, qui augmente notamment avec les entrées sur le marché du travail des jeunes,  et les sorties du marché du travail des vieux. 
      On pressent ainsi que le vieillissement d’une population peut réduire les tensions sur le marché du travail : des postes se libèrent en masse pour laisser place à des jeunes. S’appuyant sur ce constat, certains n’avaient pas hésité à nous annoncer la fin prochaine du chômage. De même, on pressent que les dernières réformes des retraites consistant à allonger de la durée d’activité pour faire valoir ses droits à toucher une retraite, a un impact négatif sur le chômage.



      Pourquoi ne lie-t-on plus la question du chômage des jeunes à la durée d’activité des vieux ?

      Pourquoi également n’explore-t-on pas des incitations à la cessation progressive d’activité assortie d’un tutorat de jeune pour transmettre un métier ?


      Alberto Korda par Marcos Lopez

      Ensuite reste l’essentiel : la création nette d’emplois permettant d’absorber les demandes nouvelles d’emplois. Création nette, c'est-à-dire la différence entre les créations d’emplois et les destructions d’emplois.
      Du côté destructions, pas de problème, on ne connaît guère que la litanie des « plans sociaux », fermetures, délocalisations dans l’industrie, qui en ne cessant de perdre des emplois (13% des emplois en 2008, 600 000 emplois détruits en 10 ans), va finir par rejoindre l’agriculture (3%).
      Du côté des services, la fonction publique qui a été au siècle dernier un gros créateur d’emplois, désormais les suppriment en masse. Le commerce et la banque qui un temps affichaient des gisements d’emplois important, tendent aussi à les réduire.
      Bref, c’est la création d’emplois qui fait défaut, malgré les « assouplissements » de fonctionnement du marché du travail[1].

      Aujourd’hui, le problème s’aggrave du fait du ralentissement de la croissance dont dépend directement celle des créations d’emplois.
      Si la lutte contre le chômage est une priorité des candidats à l’élection présidentielle dans l’opposition, ces derniers devront dénoncer avec force les politiques budgétaires restrictives exigées par les marchés, qui vont faire plonger toute l’Europe dans la récession et le chômage.


      De bon matin de Jean-Marc Moutout

      La fin annoncée de l’emploi industriel est-elle une fatalité ? Quand on considère la richesse générée par ce secteur, le nombre d’emplois tertiaires induits par l’activité industrielle, peut-on se permettre de renoncer au volontarisme politique en la matière ?

      Est-ce qu’il est raisonnable de dépenser autant d’argent pour former des ingénieurs qui ne trouveront pas de travail[2] ou qui devront aller travailler en Chine ? Pourquoi en dépenser autant pour former des financiers et des ‘ marketeurs’ ?

      Une industrie recentrée uniquement sur la recherche-développement dans les hautes technologies avec délocalisation systématique de la production, cette vieille idée, offre-t-elle un potentiel suffisant de création de richesses et d’emplois ?

      Quel combinaison de financements pour solvabiliser l’énorme  potentiel d’emplois dans le secteur des soins et d’aides à la personne ?

      Où sont les études économiques de reconversion écologique de notre économie (énergies douces, environnement, agriculture biologique), leur impact en matière de qualifications et d’emplois, leurs prescriptions en matière de formation, de soutiens au démarrage... ?


      [1] On enregistre en statistique, de plus en plus d’emplois à temps partiel, voire très partiel (8 heures hebdomadaire pour un étudiant), ce qui explique par la même occasion le phénomène des travailleurs pauvres (working poors).

      [2] Ce fut un temps le cas d’un de mes frères qui pourtant s’était spécialisé dans ce qui restait un point fort de notre pays : les industries agro-alimentaires. Il a fini par trouver du travail, mais dans un centre de formation du ministère de l'agriculture.


      Stephane Couturier - Renault Seguin 1993

      Chômage, revenus et protection sociale : questions pour un champion (II)


      Wasteland de Vik Muniz



      En 2e position des préoccupations des français, vient ensuite celle du pouvoir d’achat, lequel dépend de leurs revenus et du niveau général des prix.
      Du côté revenus, le problème principal est celui des revenus d’activité, du revenu des actifs, en premier lieu des jeunes actifs dont les salaires sont maintenus trop bas par le chômage de masse. 
      Autrement dit, le profil de leur poste est toujours plus exigeant pour gagner des clopinettes : le salaire minimum. La généralisation du travail précaire et du travail à temps partiel non choisi les plombent encore davantage. Au point que peut parfois finir par se poser un problème d’incitation à l’activité eu égard les minimas sociaux (dont le RSA).
      Du coup, la droite a plutôt tendance à mettre en avant le niveau trop élevé de ces minimas sociaux et à culpabiliser l’ensemble des chômeurs toujours soupçonnés de ne pas rechercher du travail, la gauche, à dénoncer le niveau trop faible des salaires.

      Côté prix, même si nous échappons à l’inflation galopante grâce à ce chômage de masse et aux importations bon marché et une monnaie relativement forte, le sentiment dominant est celui de chocs inflationnistes en premier lieu sur l’immobilier.

      Le logement est un droit fondamental. Pourquoi dans un pays qui a toujours connu une croissance de son PIB, ce droit n’est-il plus assuré ? Pourquoi rien n’est pensé pour endiguer cette inflation immobilière ?


      Trickle down par Stephen Hansen


      Pour ceux qui travaillent, d'un côté le salaire-coût (c'est-à-dire incluant les charges sociales) est toujours trop élevé pour inciter à l’embauche, ou par rapport à celui du travailleur bulgare ou chinois, s’ils travaillent dans un secteur exposé à la concurrence internationale; d'un autre côté, le salaire net qu’ils perçoivent est devenu insuffisant pour vivre décemment.


      Dans une économie de marché, on ne peut contraindre les employeurs à réduire leurs profits en augmentant leur masse salariale (sans compter ceux qui ne peuvent pas), ne reste alors que l’abaissement des charges sociales salariales et/ou patronales avec obligation (?) pour l’employeur d’augmenter d’autant la feuille de salaire.

      A cet égard, la plus ou moins grande exonération de charges sociales est un instrument des « politiques de l’emploi » utilisé depuis longtemps, souvent sans penser leur compensation par une autre ressource budgétaire, ce qui ne manque pas détériorer les comptes de la Sécurité sociale.



      Mais alors, nous faut-il choisir entre emplois ou protection sociale ?

      Comment financer cette protection sociale sans freiner les embauches, ni rendre les travailleurs pauvres ?

      Ne peut-on vraiment pas modifier l’assiette de financement de notre protection sociale et/ou fiscaliser une bonne partie son financement[1] ?

      Combien de temps pourra durer le fait qu’en moyenne  les inactifs perçoivent plus qu’une grande partie des actifs[2], alors même que leurs pensions sont financées par ces actifs dans un système de retraite par répartition ? 



      [1] Au-delà de la CSG qui fournit déjà des ressources supplémentaires en n’étant pas seulement prélevée sur les salaires mais sur toutes les catégories de revenus, y compris revenus du capital et pensions de retraite.
      [2]  Impossible de trouver sur Internet une statistique à l’appui, je me souviens juste d’une rubrique « indicateurs clés » qu’avait Libération qui le montrait, tout comme l’écart entre salaires du privé et du public très en faveur de ces derniers après la déflation salariale subie par le secteur privé.






      Dans la conclusion de son chapitre « que faire face au chômage ? »[1], Guillaume Duval fournit une liste de mesures pouvant constituer le début d’un vaste programme de lutte contre le chômage pour les candidats d’opposition à la présidentielle.

      Bref, face au chômage de masse, il n’existe donc pas de remède miracle et il faut faire feu de tout bois : chercher à doper la croissance, déployer des emplois aidés, jouer sur l’emploi public, réduire le temps de travail, accélérer la conversion écologique de l’économie... Sans oublier d’aider les chômeurs eux-mêmes. Mais les politiques menées en France actuellement n’activent quasiment aucun de ces leviers. Pas étonnant que les Français n’aient pas le moral.


      [1] La France d’après - rebondir après la crise Les petits matins / Alternatives Économiques 2011