vendredi 11 novembre 2011

Les voies du socialisme latino-américain

William I. Robinson dans le dossier du Monde Diplomatique de ce mois-ci « Peut-on changer le monde ? »

Sameer Kermali Photoquai 2011


Et maintenant, le Pérou ? Constituée en laboratoire du néolibéralisme à partir du milieu des années 1970, l’Amérique latine a changé de visage. Depuis une dizaine d’années, une grande partie de la région est « passée à gauche », un phénomène souvent décrit comme une vague (lire « D’élections en réélections »). Or voici que la lame emporte un nouveau bastion de la droite. Le soir de l’élection présidentielle péruvienne de juin 2011, le candidat victorieux — M. Ollanta Humala, un homme de gauche — proclamait : « Plus jamais le gouvernement ne servira les intérêts de l’élite qui vend les richesses minières du Pérou à des multinationales. Tout cela doit changer. » Rupture ? Dans le même discours, M. Humala promettait, tout aussi fermement, de ne pas toucher au modèle économique péruvien.

Si une vague progressiste a bien déferlé sur l’Amérique latine, elle se voit communément qualifiée de « rose-rouge », tant diffèrent les courants qui la traversent. A tel point que certains des gouvernements de la région, qui avaient façonné des majorités électorales en mobilisant les classes populaires, sont désormais confrontés à une double menace : d’une part, la résurgence de la droite (dans les urnes, comme au Chili en 2010, ou par la force, comme au Honduras en 2009) ; de l’autre, des mouvements de protestation alimentés par les espoirs frustrés d’une partie de la population. Deux facteurs qui, combinés, révèlent certaines des limites internes et externes des processus politiques en Amérique latine. [...]


Alors que, entre 1988 et 2003, 90 milliards de dollars de biens publics ont été bradés par les Etats d’Amérique latine, la « vague rose-rouge » interrompt les privatisations. Les dépenses publiques augmentent - leur montant par habitant triple au Venezuela en 1999 et 2008 - et des programmes sociaux ambitieux voient le jour ou bénéficient de plus de moyens : « plan d’urgence sociale » en Uruguay, « bourse familiale » au Brésil, « assignation universelle par enfant » en Argentine, etc. Partout, les droits des travailleurs sont mieux défendus, le salaire minimum augmente, cependant que les budgets consacrés au logement et à l’éducation gonflent ; l’analphabétisme régresse dans toute la région. Tandis que, en dépit de manifestations massives, la France imposait à la population un recul de l’âge de la retraite, la Bolivie le faisait passer de 65 à 58 ans. Autre exemple : au Brésil, la part des salaires dans la valeur ajoutée a augmenté de 3.6 % entre 1999 et 2009, pour atteindre 43.6 %. Pendant la même période, elle a régressé dans la plupart des autres pays de la planète. Les progrés sont donc incontestables.



De telles politiques expliquent sans doute la popularité dont continuent à jouir dans leur ensemble les gouvernements issus de la gauche latino-américaine. Mais avant même d’être fragilisées par la crise et le réveil des droites, ces politiques suffisaient-elles vraiment à répondre aux attentes des classes populaires ?

 Photo : Marcos Lopez

Les gouvernements progressistes ont certes redirigé vers les populations les plus défavorisées une partie des revenus générés par les exportations de matières premières. [...]

Il n’en reste pas moins que, en dépit de certains discours, les bouleversements significatifs du système inégalitaire de redistribution des richesses s’avèrent d’autant plus rares que les réformes fiscales sont timides. [...]

Comme d’autres pays classés à gauche, le Brésil n’a pas véritablement opéré de transformation structurelle susceptible d’éradiquer les causes de la pauvreté et des inégalités : l’amélioration des conditions de vie y demeure d’autant plus fragile qu’elle repose sur des programmes gouvernementaux qui pourraient être suspendus - voire supprimés -, à la suite d’une alternance gouvernementale ou d’un plan d’austérité « imposé par une récession économique... [...]



Les réformes ont été plus profondes au Venezuela, où elles se sont inscrites dans un projet ambitieux de transformation de l’Etat, de remise en cause de la notion de propriété privée et de renforcement de la participation populaire au sein du système démocratique. [...]
Ces gouvernements - dénoncés comme « radicaux » par les observateurs modérés et libéraux - ont conquis le pouvoir à la suite d’élections qui les ont placés à la tête d’Etats corrompus, clientélistes, bureaucratiques et oligarchiques. Scrutin après scrutin, une rupture semble s’être produite : la plus grande menace qui pèse sur ces pays provient moins de la droite que de l’ « intérieur » du bloc au pouvoir.

Prébendes, népotisme, baronnies : lorsque les cadres compétents manquent, les « entrepreneurs de la révolution » prennent parfois le dessus. Eux s’avèrent moins enclins à transformer une situation qui les promeut au rang de nouvelle classe privilégiée. Et puis, à mesure que son niveau de vie progresse, une partie de la population envisage différemment l’urgence de la transformation sociale. [...]


L'exercice de l'Etat de Pierre Schoeller




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