mercredi 28 mars 2012

Pourquoi les partis de gauche ne profitent pas de la crise ?








La crise financière et la crise tout court profite-t-elle à la gauche, se demande Bruno Amable cette semaine dans le quotidien Libération ?
Vu qu’il s’agit de la crise d’un modèle de capitalisme dont les partis de droite sont les plus grands défenseurs, les partis de gauche auraient dû  en principe avoir le vent en poupe, or il n’en est rien, les gouvernements conservateurs gouvernent en Europe de façon encore plus écrasante qu’ils ne le faisaient avant la crise (Cf la carte du paysage politique européen dans l’article précédent).

Par conséquent, il serait plus juste de problématiser ce paradoxe de la façon suivante : « pourquoi les partis de gauche ne profitent-t-ils pas de la crise ? », lequel me rappelle le livre d’un contributeur américain du Monde Diplomatique,  « Pourquoi les pauvres votent à droite ? », dans lequel il s’efforçait de s’expliquer comment son Kansas natal, bastion historique des démocrates, avait basculé dans le camp des néoconservateurs de Bush.
Lorsque j’avais commandé le bouquin à ma copine libraire (pas vraiment de gauche), elle m’avait dit dans un éclat de rire « t’as besoin d’acheter un bouquin pour ça ? Parce qu’ils sont cons. » Je me dus de lui répliquer : « C’est sans doute un peu plus compliqué, du moins je l’espère, sinon, il n’y aurait pas de livre. »



Diogène par Lovis Corinth

 
Pour ce qui concerne l’Europe et la période récente, l’économiste avance un certain nombre de raisons.
La crise est défavorable aux sortants et plus durement  aux gouvernements de centre gauche qu’aux gouvernements de droite "sans qu’on puisse vraiment expliquer pourquoi".

Est-ce par ce que les difficultés économiques rendraient les électeurs moins généreux à l’égard des pauvres ou bien plus exigeants à l’égard des chômeurs ? Une étude concernant la Grande-Bretagne tendrait à invalider cette hypothèse en montrant que les conservateurs n’ont pas reconquis le pouvoir parce que la population s’était droitisée (ses attentes sont des demandes «de gauche »)  mais parce que les conservateurs auraient été jugés plus « compétents » pour faire face à la crise.

Pour Bruno Amable, « Si le facteur compétence est un déterminant important du résultat électoral, la persistance de la crise devrait in fine être défavorable aux gouvernements sortants. Comme les gouvernements étaient déjà majoritairement à droite en Europe avant le déclenchement de la crise, cela laisserait entrevoir la possibilité d’un changement conséquent de couleur politique à mesure que la crise dure et que les élections arrivent. »

Autrement dit, il entrevoit la perspective d’un revirement à gauche des électeurs européens. Pour l’étayer, il s’appuie sur le précédent de la crise des années 30 qui avaient dans un premier temps profité aux conservateurs pour ensuite, la crise s'aggravant, profiter aux partis de centre-gauche notamment aux démocrates autour de Roosevelt.

Néanmoins, il y met deux conditions : que les opinions soient majoritairement convaincues qu’il s’agit d’une crise du capitalisme requérant un changement de politique, mais surtout que les partis de gauche proposent autre chose que la politique d’austérité de leurs rivaux.

Bruno Amable dans Libération
 


Manifestations à Bucarest en janvier-février 2012 (photo : Adrian Calugaru)






Les nouveaux chiens de garde de Gilles Balbastre, Jerome De Missolz

mercredi 21 mars 2012

Le salut par l’Europe ?


Photo : Peter Komka





La 9e de Beethoven dans Orange Mécanique de Stanley Kubrick


Hormis chez EELV qui ne dépasse pas 3 % d’intentions de vote, aucun candidat pour la présidentielle ne manifeste le moindre enthousiasme européen. C’est casse-gueule électoralement : selon un sondage récent, l’Europe aurait de moins en moins la cote.
L’éditorial du Monde qui y fait référence, considère cet état de l’opinion comme paradoxal : l’Europe n’a jamais été aussi impuissante.

Les Français veulent moins d'Europe. Une majorité d'entre eux se dit indifférente à l'idée européenne. Quand elle n'y est pas hostile. Moins d'un Français sur deux estime important que l'Europe permette à son pays de peser davantage sur les décisions politiques et économiques prises au niveau mondial. Le même pourcentage juge que la défense d'un "modèle européen" - économie de marché associée à une forte protection sociale - n'est pas une priorité en ce XXIe siècle naissant. (...)
Or, depuis une dizaine d'années, les institutions communautaires ont de moins en moins de pouvoir. "Bruxelles" ne décide plus grand-chose, les Etats ont repris le dessus. L'Europe n'a jamais été moins fédérale qu'aujourd'hui. Il y a une renationalisation de toutes les politiques.
On n'ose jamais le dire, mais une partie de la crise de l'euro vient de là. Les Etats, à commencer par l'Allemagne et la France, ont estimé qu'ils pouvaient s'affranchir des règles fixées par traité sur le niveau autorisé de leur déficit budgétaire. Aucune instance "bruxelloise" n'a eu assez d'autorité pour s'imposer aux Etats.
L'école souverainiste l'a emporté. Elle est majoritaire aujourd'hui dans l'opinion, à en croire le sondage. L'idée de souveraineté partagée - au cœur de la construction européenne - est battue en brèche. Les souverainistes français sont ainsi venus conforter la conception britannique de l'Europe : aucun empiétement sur les pouvoirs des Etats, et notamment de leurs Parlements. Hormis l'établissement du grand marché unique, il n'y a plus guère de "politique communautaire". 

 Francisco Goya Les désastres de la guerre vers 1812

On est tout de même en droit de se demander si ce paradoxe n’est pas qu’apparent, si « le délitement de l’idée européenne » ne provient pas justement du délitement des capacités à agir de l’Europe et d’espoirs déçus.
En effet, l’Europe et la souveraineté partagée qu’elle implique, a notamment toujours été « vendue » aux populations, comme un moyen de créer des emplois, de permettre à un petit pays de s’insérer plus favorablement dans la mondialisation contemporaine, de les protéger autant que possible de la violence du néocapitalisme mondialisé.

A la place, la France a assistée impuissante à sa désindustrialisation par les délocalisations, à la paupérisation de l’Etat par la concurrence fiscale, à l’inexorable montée du chômage et son cortège de malheurs. La crise des dettes publiques au sud de l’Europe et par-dessus tout en Grèce a été l’ultime épisode marquant l’immense échec de la gouvernance européenne à atteindre ces objectifs.



 
Sur France Culture, Mathieu Pigasse dont la banque (Lazard) a conseillé le gouvernement grec pour l’obtention de l’abandon de 50 % des dettes grecques privées, déplore la médiocrité de la gouvernance européenne (« un gouvernement par le vide », un « G zéro ») dont les dirigeants n’ont absolument pas été à la mesure des enjeux.
En ce qui concerne la Grèce, il regrette avec tristesse que ce qui n’était au départ qu’un » feu de broussailles » ait pris l’ampleur d’un désastre. Lui le banquier (de gauche), a réaffirmé que les politiques d’austérité engagées partout sont inadaptées économiquement et injustes socialement.
Selon Pigasse, la croissance ne reviendra pas toute seule, il convient d’agir en donnant une priorité à la croissance et à l’emploi, une croissance tirée par l’investissement, privé comme public (notamment dans l’innovation et les infrastructures).

Sa conviction que « l’Europe reste encore le recours, que la France seule ne peut plus rien, mais que l'Europe peut », est partagée par l’intelligentsia. En revanche, le consensus cesse lorsqu’on évoque les politiques européennes et nationales à mettre en œuvre pour ce faire.

Car enfin, le nouveau traité de discipline budgétaire constitue bien, s’il est appliqué, un pas en avant dans le fédéralisme et la coordination des politiques budgétaires, toutefois il traduit aussi une certaine conception idéologique du rôle des pouvoirs publics.
Mathieu Pigasse considère par exemple que « la règle d’or » est absurde, en particulier en incluant les dépenses d’investissement public comme élément du déficit budgétaire plafonné[1].
Reste que ce traité a été signé par une Europe pour l’heure politiquement ancrée à droite, libérale ou conservatrice.


[1] Il balance d’ailleurs l’Allemagne toujours citée en exemple, qui a fait disparaître une bonne partie de ses dettes publiques par des artifices comptables.



La couleur politique des gouvernements en Europe - Mars 2012

 
Peut-être est-ce en partie pour cela que Michel Rocard pour le moment, ne croit plus en l’Europe. «Il n'y a plus d'Europe. Ecrit-il dans son dernier livre (...) L'Europe est dispersée et contradictoire. (...) Il n'est pas espérable de lui voir retrouver convergence et leadership. (...) Elle n'est, hélas, pas un acteur majeur pour la sortie de crise».

A raison, Mathieu Pigasse rappelle le 2e scénario catastrophique que ça implique : éclatement de l’euro, replis nationaux, protectionnisme,...

Pour finir, bien que ce pays de l'UE n’appartienne pas à la zone euro, j’ai appris presque par hasard (très peu couvert) que ça bardait en Roumanie.
Il semble que des péripéties autour d’impopulaires mesures de réduction de la couverture de l'assurance-santé et de privatisation partielle du système de santé en faisant entrer des assureurs privés, aient été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de la colère d’une population qui n’en peut plus des plans d’austérité, de privatisations et de « libéralisation » imposés depuis la crise de 2008 par les créanciers de la Roumanie, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et l'Union européenne : 
baisse de 25% du salaire des fonctionnaires, augmentation de 5% de la TVA, gel des allocations de retraite et mise à pied de 200 000 fonctionnaires qui ont diminué le pouvoir d'achat des citoyens de façon drastique. 
Le 1er ministre démocrate-libéral a dû démissionner un mois après de manifestations continues.

Que pensez-vous que répondraient les roumains si on leur posait la même question qu'aux français : « la défense d'un "modèle européen" - économie de marché associée à une forte protection sociale - est-elle une priorité en ce XXIe siècle naissant ? » ?



Bucarest - Maison du peuple décembre 1991


L’Europe, désespérément (1/2)

L’Europe, désespérément (2/2)




  
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Action discrète à la Coupe Davis - les sportifs Francais résident en suisse... 

samedi 17 mars 2012

Pour pouvoir voter pour lui, évitez votre candidat


Siège du PCF place du Colonel Fabien Paris 19e - Oscar Niemeyer 1970-1980





Il y a cinq ans, c’était déjà la même chose. Il me fallait donner ma voix à une candidate qui quoi qu’elle annonçait, quoi qu’elle disait, quoi qu’elle faisait, me portait sur les nerfs (sans compter qu’elle me paraissait vraiment idéologiquement suspecte).
Pour ne pas flancher au moment crucial du vote, je protégeais mon bulletin en fuyant « Evita Peronnelle » comme la peste dès qu’elle apparaissait sur l’écran ou ouvrait la bouche sur une radio, tout comme je zappais tout article portant sur une de ses annonces de campagne.

Cinq ans plus tard, les primaires socialistes ont voulu que ce fût son ex mari et père de ses enfants, qui représentât le candidat « de gauche » qui avait le plus de chances de neutraliser Sarkozy et sa clique.
Si « Monsieur Normal » se situe beaucoup plus bas dans l’échelle d’énervement, je conserve jusqu’au 22 avril la même ligne de conduite pour ne pas défaillir dans ma décision de contribuer à  faire gagner celui qui a le plus de chances de faire tomber l’UMP au pouvoir.

Avec Arrêt sur Images, j’ai découvert qu’on pouvait être encore plus ultra que moi : le journaliste Delfeil de Ton, lequel « revendique de ne jamais écouter les reportages sur la présidentielle, ni à la radio, ni à la télé, ni nulle part. (...) Il ne connait même pas la voix de François Hollande, ce qui ne l'empêchera aucunement de voter pour lui. »


 

 
Définitivement, ras le bol du « Je » en politique qu’a imposé Sarkozy.
Candidats, si seulement vous pouviez retrouver l’usage du « Nous » !
Des projets, des équipes.
Marre du mauvais show du candidat providentiel ! Marre des ravages des conseillers en communication ! Marre de la médiocrité des journalistes politiques ! Marre des bagarres de cour de récréation ! 
Marre de l’immaturité en politique ! 
Marre d’être pris pour des bœufs !

P.S. Quand arrêtera-t-on aussi ces distributions de prospectus ? 
Ce matin, comme les samedis précédents, le passant se sent cerné par les candidats. 
Aussi contreproductif que pathétique !





mardi 6 mars 2012

Misère de la politique à gauche : l’indispensable vote utile


ADM9, robot trader, installation du collectif RYBN à la Gaîté Lyrique


 


Dans le journal à 100 voix de Télérama, Frédéric Lordon s’en prend à François Hollande et à tous ceux qui le soutiennent, en contestant leur ancrage « à gauche », ainsi qu’à l’obligation de « vote utile » qui s’imposerait aux électeurs « de gauche ».
Pour lui, « être de droite, c’est vouloir ne pas changer le cadre ; être de gauche, c’est vouloir le transformer ».
A raison, il leur reproche de définir un projet politique peu convaincant, qu’il qualifie « de gauche de droite », car s’inscrivant dans le cadre des traités européens de Maastricht-Lisbonne, à savoir l’acceptation du primat de la finance actionnariale, du libre-échange, « de l’orthodoxie de politique économique sous surveillance des marchés financiers ».

(...) Or pour qui cherche vraiment le fin mot des inégalités et des formidables régressions imposées au salariat, c’est bien dans ce triangle qu’il faut chercher :

1) la contrainte actionnariale telle qu’elle impose des objectifs de rentabilité financière dont les masses salariales sont la variable d’ajustement (contrainte actionnariale qui n’est certes pas directement promue par le traité européen… mais contre laquelle on ne lutterait qu’au prix d’une suspension de son article 63 interdisant toute entrave aux mouvements de capitaux ;

2) le libre-échange dont les principes de concurrence non distordue imposent les pires concurrences distordues (avec des pays dont les standards sociaux et environnementaux sont pour l’heure sans rapport possible avec les nôtres) ;

3) un modèle de politique économique quasi constitutionnalisé par le traité européen qui organise délibérément sa propre tutelle par les marchés financiers (l’article 63 encore) et consacre la prééminence des créanciers internationaux au point d’en faire les nouveaux ayant-droit prioritaires des politiques publiques : leurs demandes d’austérité passeront avant toutes les autres, et notamment celles des corps sociaux.




Tsunami au Japon - mars 2011

Le précédent de Lionel Jospin qui renia sa promesse de campagne en ratifiant le traité d’Amsterdam, l’autorise à douter de celle faite par François Hollande de renégocier le nouveau traité de discipline budgétaire (Mieux vaudrait écrire que c’est une promesse qui « ne mange pas de pain » puisque pour la tenir il faudrait que les 25 gouvernements européens qui viennent de signer ce traité, acceptent de revenir sur leur décision).
Toujours avec justesse, il se demande « quels degrés de destruction sociale les austérités européennes devront atteindre, quelles quantités de chômeurs, de pauvres dans les rues, quelles régressions sociales et sanitaires il faudra connaître pour qu’un jour le parti socialiste se décide à considérer qu’il y a un problème avec cette Europe. »
Frédéric Lordon reconnaît que ce n’est pas « une idée bien fameuse » que de critiquer dans cette tribune le candidat « de gauche », immanquablement perçue comme « faisant le jeu » de l’adversaire de droite et l’angoissante possibilité de la réélection de Nicolas Sarkozy, sans me semble-t-il en tirer toutes les conclusions.


Anne Brigman the wondrous globe 1912 héliogravure - Musée d'Orsay

 
Le dernier sondage d’intentions de vote fournit les résultats suivants :

Le Pen Sarkozy Bayrou Autres petits candidats de droite Hollande Mélenchon Eva Joly
19 % 26 % 12 % 3 % 29 % 7.5 % 3 %

On note au passage que cette statistique rappelle que la France qui vote est largement latéralisée à droite pour 57 %, et à gauche pour 40 %.
Dés lors, on comprend sans difficulté que le candidat en tête « de gauche » pour avoir une chance de l’emporter, doit gagner des voix parmi les indécis et à droite, d’où l’exercice d’équilibriste sur le plan idéologique et programmatique, auquel il doit se livrer.
Frédéric Lordon a beau dénoncer la consigne de « vote utile » et dans ce cas, même s’il ne le dit pas, inviter à voter Mélenchon ou Joly qui sont des candidats de gauche de « sortie de cadre » (je n’évoque pas Poutou qui ne fait même pas 1%), je ne vois vraiment pas par quel miracle ces derniers pourraient augmenter leur score ne serait-ce qu’au niveau de Le Pen, l’autre candidat de « sortie de cadre » (alors au niveau d’Hollande, n’en parlons pas !).

Car faut-il le rappeler, l’enjeu est d’éviter qu’Hollande ne se retrouve comme Jospin en 2002 exclu du second tour, avec le plus probablement Le Pen et Sarkozy en lice finale.
Le risque n’est pas mince, les écarts entre Hollande, Sarkozy et Le Pen sont relativement faibles.
A priori, on ne doute pas que Sarkozy l’emporterait, ce qu’on voulait éviter.
« Il n’y a pas d’alternative » au vote utile, si ce qu’on souhaite est la non réélection de Sarkozy et barrer la route du second tour à Le Pen. Il va de soi que l’abstention offre la même perspective désolante.
Pour une perspective de « changement », Hollande est le pire des candidats à l’exception de tous les autres.


Mouseland


 Frédéric Lordon sur ce blog : L'école des infâmes