jeudi 15 septembre 2011

L’Etat interventionniste : les trois leçons de l’histoire (Tony Judt I)


La Rome de Mussolini, le Foro Italico




Otchi Tchernye (Les yeux noirs) par le chœur de l'Armée Rouge


[...] Les critiques de l’Etat interventionniste lancent aujourd’hui deux accusations convaincantes. La première est que l’expérience de notre siècle révèle une tendance, inimaginable aux époques antérieures, à la régulation et à la répression totalitaires non seulement des personnes, mais également des institutions, des pratiques sociales et du tissu même de la vie.

Nous savons maintenant, et ne pouvons ignorer, ce que les Fabiens, les théoriciens fondateurs de la social-démocratie, les rêveurs utopiques de systèmes sociaux collectivistes, et même les partisans bien intentionnés de l’ingénierie sociale paternaliste ne savaient pas, ou préféraient oublier : que l’Etat surpuissant, sous quelque égide doctrinale qu’il se place, a une alarmante et probablement inévitable propension à manger ses propres enfants aussi bien que ceux de ses ennemis.

L’autre leçon que nous devrions avoir tirée est que, meurtrier ou bienveillant, l’Etat est un acteur économique d’une inefficacité frappante. Les industries nationalisées, les fermes d’Etat, la planification économique centralisée, le commerce contrôlé, les prix fixés et la gestion gouvernementale de la production et de la distribution ne fonctionnent pas. Ils ne créent pas de marchandises, et au final, celles existantes sont mal réparties, même si la promesse d’un système de redistribution plus équitable est d’ordinaire ce qui motive leur mise en place. [...]

Les leçons de 1989 embrouillent presque autant qu’elles instruisent et, pis encore, elles ont tendance à occulter une troisième leçon : que nous n’avons plus aucune raison de supposer qu’aucun ensemble de règles ou de principes politiques ou économiques pris isolément serait universellement applicable, tout vertueux ou efficace qu’il fût à l’échelle individuelle. Je ne plaide pas pour le relativisme culturel ou moral, mais il ne me semble pas incohérent de penser qu’un système de gestion économique puisse fonctionner à tel endroit et non pas à tel autre, ou de reconnaître qu’avec ses limites, le comportement que l’on est en droit d’attendre d’un gouvernement dans une société libre peut passer ailleurs, et c’est compréhensible, pour une ingérence intolérable. [...]



Saturne dévorant ses enfants de Francisco Goya (détail)


En Europe continentale, l’Etat continuera de jouer le premier rôle dans la vie publique pour trois raisons. La première est culturelle. Les citoyens attendent de l’Etat - le gouvernement, l’administration, les services publics - qu’il prenne des initiatives ou du moins qu’il recolle les morceaux. Quand les français exigent que leur gouvernement diminue le temps de travail, garantisse des salaires plus élevés, la sécurité de l’emploi, l’abaissement de l’âge de la retraite et plus d’emploi en général, ils sont peut-être irréalistes, mais pas irrationnels. [...]



Ainsi donc, même si, en Europe, l’Etat n’a pas toujours eu bonne presse ces derniers temps, on constate que la foi en ses capacités est intacte. Seul un Etat peut offrir les services et les conditions qui permettront à ses citoyens de mener une vie meilleure et épanouie. Et ces conditions varient d’une culture à l’autre : elles peuvent privilégier la paix civile, la solidarité avec les moins favorisés, les infrastructures culturelles, les équipements environnementaux, la gratuité des soins de santé, une éducation publique de qualité, etc. [...]




Rodchenko

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire