dimanche 29 avril 2012

Faut-il se réjouir du récent engagement en faveur de la croissance de Mario Draghi et d’Angela Merkel ?




Barbara Kruger Think Twice ask questions
(Réfléchis y à deux fois, pose des questions)






Quand les inflexibles Draghi et Merkel redécouvrent le mot croissance


Face à la situation économique et sociale alarmante des pays qui se sont vus imposer les purges d’« austérité » et de leurs effets désormais sensibles sur leurs partenaires, l’inflexible apôtre de l’austérité Angela Merkel s’est vue à son tour contrainte d’annoncer « un agenda croissance dans l’UE ».
Après avoir renouvelé son soutien au candidat Sarkozy, tout en ménageant son rival qui pourrait l’emporter, elle s’est empressée de  répéter que le pacte budgétaire que François Hollande veut réformer "n'est pas renégociable", pour la simple raison qu’il venait d’être signé par 25 chefs de gouvernement, et parce qu’ensuite la Grèce et le Portugal venaient de le ratifier, ce qui est beaucoup plus contestable puisque ces deux États sont quasiment sous tutelle.
Sur les axes de cet « agenda croissance », afin de ne fâcher personne et de ne pas se dédire, elle a évoqué le renforcement des capacités de la Banque européenne d'investissement (BEI) et à une utilisation plus flexible des fonds européens.

La  flexibilisation accrue du marché du travail, pour améliorer la compétitivité des États et non une relance par les dépenses publiques


Pour la chancelière allemande comme pour le président de la BCE, Mario Draghi, ex. de la banque Lehman Brothers au temps où cette banque maquillait les comptes de l’Etat grec en vue de son acceptabilité dans la zone euro, depuis mise en faillite lors de la crise financière des subprimes, les leviers de croissance doivent être recherchés dans des « réformes structurelles qui libèrent les énergies » à savoir "faciliter l'entrepreneuriat, l'établissement de nouvelles entreprises et la création d'emplois", même si elles « heurtent de larges intérêts" et "font mal".

Quèsaco ? De quoi parle donc l’homme qui en février annonçait la fin du modèle social européen ? Un porte-parole de la BCE a précisé à l'AFP qu'il s'agissait de réformes telles que la flexibilisation accrue du marché du travail, pour améliorer la compétitivité des États et non une relance par les dépenses publiques - à laquelle il s'oppose fermement.



 Sardon Bon point : Le majeur

 

« Des charges salariales » et des « barrières sur le marché du travail » abaissées


« Souplesse » et « flexibilité », supprimer les « rigidités ». Qui peut être contre ? Toujours ce recours si redoutablement efficace à l’euphémisme et la litote, au détournement de sens du discours des dominants (la LQR d’Eric Hazan).
Angela Merkel précisera : "Les charges salariales ne doivent pas être trop élevées, les barrières sur le marché du travail doivent être basses, afin que chacun puisse trouver un emploi".
Sur le premier terme, on a déjà évoqué ici le mode de financement de notre protection sociale qui nuit encore trop à la création d’emplois et la réforme des prélèvements obligatoires qui devraient être prioritaire. Mais qu’est-il donc visé dans la deuxième partie de la phrase  « Les barrières sur le marché du travail doivent être basses ».


Vers la suppression du salaire minimum ?


Le salaire minimum ? En Grèce, on planche sur sa suppression conformément aux injonctions des Européens et du FMI, au moment même où les salaires dans le privé ont chuté de 23 % au cours de l’année écoulée. Chez eux, comme en France, son niveau ne permet plus de vivre décemment, l’abaisser, en l’état des filets de sécurité sociale, accroitrait le risque de désincitation à l’activité.

Le contrat à durée déterminée voire le contrat commercial comme normes ?


Le travail précaire ? Il concerne en France près d’un travailleur sur 4 (moitié à statut précaire - intérim et CDD -, l’autre moitié exercé en indépendant) et on signe des contrats de quelques heures avec des jeunes pour le week-end.

Davantage de flexibilité du temps de travail ?


La flexibilité du temps de travail ? Chez nous, elle est devenue la norme dans  la plupart des secteurs en contre partie de l’instauration des 35 heures ?
Alors quoi de plus pour nous faire retourner au XIXe siècle ?
Il semble que la nouvelle frontière soit l’abrogation du droit du licenciement.






En finir avec les charges qui pèsent sur les entreprises qui licencient


C’est une vieille revendication du patronat représentée par Mme Parisot dont les parents étaient l’une des 200 familles les plus riches du pays.
L’argumentation est la suivante : les obligations des entreprises en cas de licenciement économique, notamment leur coût, seraient un frein à l’embauche (ou à la réembauche) et à la création d’emplois.


Licenciement pour motif personnel, démission et rupture conventionnelle pour y échapper


Comme toujours avec les « libéraux », l’idée fait appel au « bon sens » individuel. Si on se met un instant dans la peau d’un recruteur, on n’a pas de mal à concevoir que ces obligations puissent freiner l’embauche, d’abord en augmentant la pression lors de l’embauche : la crainte d’une erreur de recrutement qui pourrait entraîner des coûts de divorce. 
Sauf que le législateur a prévu pour parer à cela la période d’essai qui d’ailleurs a été rallongée. 

« Mais le salarié peut se mettre à dysfonctionner ou à me porter sur les nerfs, alors là, à moi les emmerdes pour le virer», peut ensuite craindre le recruteur.
Qu'à cela ne tienne, s’il dysfonctionne (si ce n’est pas le cas, il paraît relativement facile de le faire "dysfonctionner"), un licenciement pour motif personnel n’occasionne aucun coût de licenciement, au plus des honoraires d’avocats.
D’ailleurs, les entreprises ne s’en privent pas (76 % des licenciements en 2004, contre 24 % pour motif économique, alors que ces derniers représentaient en 1994, 58 % des licenciements), comme il n’y a pas de raison que les salariés soient plus inaptes que leurs prédécesseurs, on peut affirmer que les entreprises recourent au licenciement pour motif personnel afin d’échapper à leurs obligations pour des licenciements de fait collectifs.

Enfin, depuis juin 2008, Mme Parisot a obtenu du législateur la séparation à l’amiable, la « rupture conventionnelle » que réclamait le MEDEF. Employeurs et salariés semblent s’être emparés de l’instrument puisqu’en octobre 2010, 430 000 contrats avaient été rompus de la sorte pour 500 000 démissions, 500 000 licenciements économiques et 1.4 millions de licenciés pour motif personnel....


"C'est vrai quoi, désormais, quand l'amour est mort, les couples se séparent sans en faire tout un plat. Pourquoi donc continuer à dramatiser les licenciements? Quand un employeur et son salarié ne sont plus heureux ensemble, pourquoi ne pas se quitter sans larmes?"



 G. Mathieu pour Alternatives Économiques

 

Le faible niveau de chômage danois ne serait pas dû à la flexi-sécurité


Le modèle mis en avant par les « libéraux », notamment par l’UE, est la « flexi-sécurité »danoise. Problème : il semble être déstabilisé par la crise, et avoir bien fonctionné tant que les créations d’emplois étaient régulières, autrement dit, le modèle n’est peut-être pas en soi un moyen de créer massivement des emplois, dont les déterminants sont ailleurs.

Une étude d’un centre de recherche allemand publiée en 2007 et portant sur 9 pays européens durant la période de 1994 à 2001 (c’est ancien, j’en conviens) conclut que, tous pays confondus, les réformes de marché du travail n'ont pas contribué à créer des emplois. La dynamique du marché du travail s'expliquerait moins par les réformes du droit du travail que par la conjoncture économique globale. En revanche, elles peuvent changer la part des CDD : lorsqu'on rend plus facile la rupture d'un CDI, le recours au CDD devient moins fréquent.


La déréglementation du marché du travail espagnol aggrave le mal


Alors, est-il vraiment absolument nécessaire d’aller plus loin dans la suppression de garde-fous à la généralisation de la précarité et de la défiance ? Est-ce vraiment de ce genre de levier dont a besoin l’Europe pour sortir du bourbier dans lequel elle s’est mise ?

Les nouvelles en provenance d’Espagne dont les conservateurs appliquent tout l’arsenal de l’austérité prescrite par la Troïka (UE, BCE, FMI) et les marchés financiers, sont très mauvaises.
La réforme du marché du travail (baisse du coût de licenciement, facilités pour les entreprises à faire des charrettes…) a déjà entraîné une perte d’emploi pour 150 000 personnes. Selon les prévisions de la prestigieuse Funcas ((Fondation des caisses d’épargne), un demi-million de personnes devraient connaître le même sort d’ici à 2013.
Pour Fernando Mínguez, du cabinet d’avocats Cuatrecasas, l’handicap espagnol, « c’est l’absence totale de tout crédit. Les banques sont concentrées sur leur propre survie et ne prêtent pas un centime aux entreprises et aux familles solvables, certes peu nombreuses en raison du chômage record. Pas de crédit, pas d’oxygène, la panique monte. »

La preuve par la chute, si cela était nécessaire, que la zone Euro n’a absolument pas réglé son problème de gouvernance monétaire et économique.







Post-scriptum


Je viens d’avoir un coup de fil de mon neveu Valère. Dans un café-restaurant en Corse, il bosse 7 jours sur 7, 16 heures par jour et partage avec les quatre autres personnes un taudis.
Plus de 100 heures par semaine, terminant le travail à minuit-une heure du matin une semaine sur deux, sans autre perspective de repos que peut-être deux ou trois jours en mai. Il va de soi que dès qu’il trouvera autre chose, il partira.
Dans ce café-restaurant, on ne peut pas dire que l’employeur soit gêné par l’existence du droit du travail le plus basique, alors les indemnités de licenciements, n’en parlons pas !
« Ces 500 000 emplois qui ne trouvent pas preneurs » est un très vieux marronnier de presse (c’était déjà ce chiffre quand j’étais étudiant, c'est-à-dire, il y a au moins trente ans) à l’appui du discours « le boulot, y en a, faut le chercher ».
Ce genre de boulot doit en faire partie.





Le policier de Nadav Lapid


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire