La crise financière et la crise tout court profite-t-elle à la gauche, se demande Bruno Amable cette semaine dans le quotidien Libération ?
Vu qu’il s’agit de la crise d’un modèle de capitalisme dont les partis de droite sont les plus grands défenseurs, les partis de gauche auraient dû en principe avoir le vent en poupe, or il n’en est rien, les gouvernements conservateurs gouvernent en Europe de façon encore plus écrasante qu’ils ne le faisaient avant la crise (Cf la carte du paysage politique européen dans l’article précédent).
Par conséquent, il serait plus juste de problématiser ce paradoxe de la façon suivante : « pourquoi les partis de gauche ne profitent-t-ils pas de la crise ? », lequel me rappelle le livre d’un contributeur américain du Monde Diplomatique, « Pourquoi les pauvres votent à droite ? », dans lequel il s’efforçait de s’expliquer comment son Kansas natal, bastion historique des démocrates, avait basculé dans le camp des néoconservateurs de Bush.
Lorsque j’avais commandé le bouquin à ma copine libraire (pas vraiment de gauche), elle m’avait dit dans un éclat de rire « t’as besoin d’acheter un bouquin pour ça ? Parce qu’ils sont cons. » Je me dus de lui répliquer : « C’est sans doute un peu plus compliqué, du moins je l’espère, sinon, il n’y aurait pas de livre. »
Diogène par Lovis Corinth
Pour ce qui concerne l’Europe et la période récente, l’économiste avance un certain nombre de raisons.
La crise est défavorable aux sortants et plus durement aux gouvernements de centre gauche qu’aux gouvernements de droite "sans qu’on puisse vraiment expliquer pourquoi".
Est-ce par ce que les difficultés économiques rendraient les électeurs moins généreux à l’égard des pauvres ou bien plus exigeants à l’égard des chômeurs ? Une étude concernant la Grande-Bretagne tendrait à invalider cette hypothèse en montrant que les conservateurs n’ont pas reconquis le pouvoir parce que la population s’était droitisée (ses attentes sont des demandes «de gauche ») mais parce que les conservateurs auraient été jugés plus « compétents » pour faire face à la crise.
Pour Bruno Amable, « Si le facteur compétence est un déterminant important du résultat électoral, la persistance de la crise devrait in fine être défavorable aux gouvernements sortants. Comme les gouvernements étaient déjà majoritairement à droite en Europe avant le déclenchement de la crise, cela laisserait entrevoir la possibilité d’un changement conséquent de couleur politique à mesure que la crise dure et que les élections arrivent. »
Autrement dit, il entrevoit la perspective d’un revirement à gauche des électeurs européens. Pour l’étayer, il s’appuie sur le précédent de la crise des années 30 qui avaient dans un premier temps profité aux conservateurs pour ensuite, la crise s'aggravant, profiter aux partis de centre-gauche notamment aux démocrates autour de Roosevelt.
Néanmoins, il y met deux conditions : que les opinions soient majoritairement convaincues qu’il s’agit d’une crise du capitalisme requérant un changement de politique, mais surtout que les partis de gauche proposent autre chose que la politique d’austérité de leurs rivaux.
Bruno Amable dans Libération
Manifestations à Bucarest en janvier-février 2012 (photo : Adrian Calugaru)
Les nouveaux chiens de garde de Gilles Balbastre, Jerome De Missolz